La communication est composée fondamentalement des registres sémantique et pragmatique. Le premier se rapporte à la signification des discours. Sur ce point la majorité des commentateurs du « match » Le Pen/Macron ont pertinemment jugé la performance de Monsieur Macron plus efficace que celle de son adversaire. Sur certains points, notamment sur les modalités d’une éventuelle sortie de l’Euro, Macron a su mettre son interlocutrice face à l’incohérence et au flou de ses propos.

Néanmoins, même si curieusement peu de personnages médiatiques semblent en être à connaissance (ou peut-être l’ont-ils oublié en cours de route), d’un point de vue pragmatique, c’est-à-dire des effets concrets d’une communication, c’est le registre non-verbal qui l’emporte haut la main. Ce registre est représenté en gros par la mimique faciale, la gestualité, la posture du corps et la tonalité et le rythme de la voix (même si ce dernier aspect est appelé plus précisément « para-verbal »). Les auteurs de la célèbre École de Palo Alto ont indiqué le pourcentage d’efficacité des deux registres : non-verbal/para-verbal 93%, verbal un maigre 7%. Donc, comme l’expérience le montre quotidiennement, l’interlocuteur tend a réagir beaucoup plus au premier registre qu’au second. En positif, comme en négatif, du reste. Son attention se concentre presque exclusivement sur le non-verbal de l’émetteur et ceci, ce qui constitue un point de fondamentale importance, en dépit de la justesse et de la cohérence de sa communication verbale, c’est-à-dire de ce qu’il dit.

De ce point de vue, Madame Le Pen est apparue plus souriante et décontractée. En un mot : plus à l’aise. Son expressivité faciale a été résolument plus vive et marquée que celle de son adversaire. En ce qui concerne le ton de la voix, là aussi Madame Le Pen est la candidate qui a fait le plus d’effort de modulation, tandis que le leader de La France en marche s’est montré plus monotone. Et la monotonie, contrairement à ce que l’on pense souvent, ne saurait constituer à elle seule un critère sérieux. Un bon communicateur n’est pas quelqu’un qui sait tout par cœur ou qui dit des choses particulièrement intéressantes, mais quelqu’un qui sait captiver l’attention du public. Combien de fois des propos au demeurant forts intéressants ont pu produire un manque d’attention, voire un certain sommeil auprès de l’auditoire ! Le message passe beaucoup plus et beaucoup mieux si il est accompagné d’éléments non-verbaux adéquats, en l’occurrence par une voix bien modulée et rythmée. En général, on ne peut pas dire que nos deux protagonistes aient brillé d’un point de vue communicatif. Leurs sourires par exemple apparaissaient trop forcés, ce qui montre à mon sens la méconnaissance d’une autre règle pourtant basilaire, celle concernant la cohérence entre les deux registres fondamentaux de la communication. Il n’est en effet jamais pertinent d’appliquer le non-verbal sur un mode automatique, sans considérer la nécessité d’être cohérent avec le registre sémantique et avec les réactions de l’interlocuteur. Car plus le sourire sonne faux, plus il suscite une émotion négative. Et ceci est valable même indirectement, car les spectateurs s’identifient aux protagonistes et tendent à réagir comme eux. Les regards aussi n’ont pratiquement jamais effleuré les caméras ni, donc, les téléspectateurs. Ce qui a contribué à faire de cette confrontation une affaire personnelle entre les deux leaders. La sensation a été que les français étaient presque coupés du contexte. Pourtant, presque un siècle en arrière Laurel et Hardy avaient déjà compris l’importance du regard orienté vers l’objectif afin de susciter une participation émotive majeure du public.

 

La confrontation de ce point de vue mériterait certainement une analyse plus approfondie, mais ces quelques considérations suffisent déjà pour déclarer vainqueur de justesse Marine Le Pen et surtout pour constater, encore une fois, qu’il y aurait assurément beaucoup de travail à effectuer dans le milieu politique pour les « coatch » et les experts en assertivité.

Antoine Fratini